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Le chant du désir

Le chant du désir
 Conférence – concert :

Les mots des troubadours, hommes et femmes

Maurice Moncozet – Pascal Lefeuvre – Thomas Bienabe

Katy Bernard – Laurence Benne

Du néant de Guillem IX d’Aquitaine, premier troubadour connu, au désir assouvi d’une trobairitz anonyme, cette Conférence – concert est un voyage au pays des mots de la fin’amor. Commentaires et poésies se mêlent aux interprétations musicales pour exhaler l’essence de la création troubadouresque dans ce qu’elle a de plus moderne et de plus sensuel.

Conférence – concert ; le programme

Guillem IX d’Aquitaine, Farai un vers de dreit nien

Jaufre Rudel de Blaye, Belhs m’es l’estius e·l temps floritz

Bernart de Ventadorn, Can vei la lauzeta mover

Bernart de Ventadorn, Lancan folhon bosc e jarric

Bernart de Ventadorn, La dousa votz ai auzida
Bertran de Born, Dompna, puois de mi no·us cal

Peirol, Atressi co·l signes fai

Peire Vidal, Plus que·l paubres que jatz el ric ostal
Beatritz de Dia, A chantar m’er de so q’ieu no volria
Beatritz de Dia, Estat ei en greu cossirier

Trobairitz anonymeEn un vergier sotz fuelh d’albespi

L’Occitanie était flûte de roseau dans laquelle jouaient les vents.

Quand le vent de galèrna tourbillonnait sur les aubiers, elle croyait entendre les accents gutturaux des bardes des collines de Monaghan. Quand l’autan s’engouffrait dans la plaine, entre les mattes de Garonne, il lui semblait qu’un ud lointain égrénait ses notes sur des modes étranges.

Est-ce comme ça que son nés les troubadours ? Peut-être. Ou bien peut-être pas du tout.

Le trobar est comme une onde de choc, un jubilatoire courant électrique, qui parcourt l’épine dorsale du monde euro-méditerranéen. Pendant deux siècles et demi à peine, disent les spécialistes. Encore aujourd’hui, rectifieront les amoureux.

Les troubadours avaient-ils, comme sur les images de nos livres d’enfants, une plume au chapeau et à la bouche une chanson ?

Qui sait… Je les en crois capables, les bougres, rien que pour nous montrer que nous n’avons pas fini d’en apprendre sur eux. Ceci dit, je verrais plutôt  Bertrand de Born avec le casque de grosse ferraille en tête et à la bouche un juron, le duc Guillaume d’Aquitaine le chef ceint de deux ou trois couronnes et sur ses lèvres un bon mot, mais je peux me tromper.

On le sait : celui qui va de château en château chanter et réciter, c’est le jongleur.

Mais certains troubadours – et des bons – n’étaient-ils pas aussi jongleurs ?

Ça se complique…

Et puis, qu’est-ce que j’en sais, moi ?

Ils étaient princes, évêques, fils de marchand ou bâtard du boulanger, moines ou chevaliers, nés entre le pétrin et le héraut d’armes, ils étaient comblés ou faidits, pour ou contre la Croisade, ils sont morts jeunes ou ont vécu bien vieux. Ils ont chanté à Toulouse, à Poitiers, à Barcelone et à Gérone, à la tour de Londres et dans les châteaux lointains de la Palestine, sur les bords du lac Léman, dans les montagnes de l’Appenin, en Castille.

Leur voix a balayé la terre rouge des Corbières et s’est accrochée aux merlons de l’église du Taur. Immense, elle a repoussé les vents de l’Estuaire et découragé le cers qui déboule sur les pentes du mont Canigó. Elle a feulé sous les chênes du Périgord et dans les sèrras du Quercy. Immense, elle s’est haussée au sommet des tours de Carcassonne. Libre. Une dernière fois.

Ils étaient occitans, de tout leur coeur – occitans ou catalans, peu importait –  et même s’ils n’ont pas réussi à donner corps à ce principe de vie qui les unissait,  eux, amis, ils n’avaient pas l’ombre d’un doute…

Et puis en voilà assez…

Écoutez-les plutôt ! L’ensemble Tre Fontane vous les amène, vivants.

Ne voyez-vous pas – je dis bien ne voyez-vous pas – la voix jouer entre les notes ? Ne voyez-vous pas les mots se faire rythme, le rythme se faire parole, la parole se faire chant, le chant des instruments se faire vent ou souvenir ? Entrelacés dans les précieux modes médiévaux comme les princes occitans dans les bras des princesses orientales, deux voix disent, il n’est que de les écouter. Rien ne manque. Laurence Benne, en français, a le timbre chaud et rythmique qui ferait rebondir et cascader n’importe-quelle langue. Le verbe passe à l’action, l’amour et la mort roulent et tambourinent comme un soir à la foire de Beaucaire. Katy Bernard possède le phrasé parfait et le secret des sons perdus de l’occitan littéraire médiéval, la grand’langue, qui fit chanter l’Europe et l’Orient. Comme un jardin secret qui se souviendrait. Au final, on n’est plus très sûr : Guillaume d’Aquitaine n’est-il pas un rocker bordelais des années 80 ? Pèire Vidal un Scott Fitzgerald échoué de nuits à n’en plus finir ? E ades sera l’alba.

Maurice Moncozet ne chante pas les troubadours : il se transforme en chacun d’entre eux. Il peut faire venir devant vous Bertrand de Born ensanglanté et essouflé d’avoir trop crié ou Bernard de Ventadour avec les yeux encore pleins des constellations du sublime ciel limousin.

Je vous jure que c’est arrivé. J’y étais.

Regardez-le avec vos oreilles, entendez-le avec vos yeux. Tout est là. Et s’il vous bouleverse d’émotion, dites-vous que ça nous l’a tous fait.

Pascal Lefeuvre a seul le pouvoir de refaire battre le coeur que l’on croyait éteint depuis des siècles. La musique, tantôt malicieuse, tantôt insinuante, fait respirer et palpiter de vie les amours de loin et celles de très près.

Thomas Biénabe, c’est la technique, la classe, la maîtrise.

C’est une promenade et c’est un voyage. Des troubadours, on sait tout, et on ne sait rien. On peut les jouer, bien sûr. Mais pour leur redonner chair et sang, il faut être tour à tour déjanté comme Guillaume, savant comme Guiraud, mélancolique comme Jaufre, technique comme Bernat…

Mais écoutez, plutôt : puisque je vous dis qu’ils n’en finissent pas d’être vivants.

David Escarpit

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